l’histoire des auricules, des plantes qui fascinent depuis longtemps…
Autrefois présence obligatoire dans les jardins de Versailles, vénérée par les grands peintres flamands, des botanistes, des fleuristes, collectionnée par les hommes curieux du 18ème siècle, exposée dans des théâtres, objet de concours aux règles très pointues, la Primula auricula fut aussi une des premières plantes à avoir sa propre société. Elle fut aussi bien cultivée par des rois, des duchesses, des ecclésiastiques aussi bien que par des tapissiers et des ouvriers de la révolution industrielle et son histoire est fascinante. Toujours très populaires en Angleterre et aux États-Unis, les auricules ou oreilles d’ours ont malheureusement été peu ou prou oubliées en France. Il est temps de raviver les mémoires !
Une fleur de chez nous
Malgré son apparence exotique l’auricule que nous cultivons aujourd’hui a ses origines pas trop éloignées de chez nous puisque c’est une plante qui vient essentiellement des Alpes et des Pyrénées. Elle résulte du croisement entre les espèces sauvages la ‘Primula auricula’ et la ‘Primula hirsuta’ et d’une culture intense sur plusieurs siècles qui lui ont donné sa forme moderne.
On explique la gamme énorme de couleurs et de formes de l’auricule par ses origines puisque, dans ses gènes, elle contient le jaune de la Primula auricula et le pigment du rouge et bleu de la Primula hirsuta. Mais il est aussi probable que d’autres variétés de primevères aient aussi contribué à son empreinte génétique.
Comment est-elle descendue de la montagne ?
Les premières mentions de l’auricule
On trouve plusieurs mentions de l’auricule sauvage à partir du 15ème siècle notamment par les herboristes dont certains lui attribuaient la vertu de ‘diminuer la nausée et l’étourdissement lorsqu’ on se trouve dans des hauteurs’ car, à l’époque, on considérait que l’endroit où poussait la plante avait une relation avec ses vertus thérapeutiques ! Une des premières mentions de cette plante en culture fut par les jardiniers de l’Empereur Ferdinand Ier à Prague ainsi que dans la République de Venise qui instaura des jardins botaniques à Pise, Padoue et Florence.
Au 16ème siècle, c’est l’époque des collectionneurs et on trouve un véritable engouement pour les plantes et les voyages botaniques. Un des écrivains botaniques les plus importants du 16ème siècle était Charles de l’Écluse ou Clusius. Né à Arras en 1526, fils d’un noble, étudiant en théologie à l’époque où la guerre entre protestants et catholiques faisait rage, il se tourna vers la botanique, une discipline moins controverse, et se dirigea vers Montpellier, un des centres des savoirs botaniques et médicaux. Après maints voyages à la rencontre d’autres botanistes et à la recherche de plantes, il fut invité par l’Empereur Maximilien II à diriger le jardin botanique impérial de Viennes. Correspondant avéré, il a aussi été un des premiers à décrire les plantes avec autant de précision. Dans son livre ‘Rariorum aliquot stirpium per Pannoniam, Austriam et vicini’ publié en 1592, il fait référence à 7 variétés différentes d’auricules. Il s’était visiblement épris des auricules qu’il mentionna à plusieurs reprises dans ses ouvrages et correspondances.
Les collectionneurs
Basilius Besler, Hortus Eystettensis, 1613.
Au début du 17èmesiècle, on note que l’auricule sauvage jaune est moins prisée que les autres variétés de couleurs différentes. A l’instar de Clusius, qui s’installa enfin à Leyde, l’auricule fut propagée à travers les Pays-Bas, la Belgique et le Nord de la France. Dans le ‘Jardin d’Hyver’ par Jean Freneau en 1616, on trouve un poème dédié à l’auricule avec des illustrations mais aussi mention des ‘hommes curieux’ qui les cultivent. On entendait par ‘curieux’ des fleuristes (c’est à dire des connaisseurs et cultivateurs de fleurs et non les vendeurs comme on l’entend aujourd’hui. Seulement neuf fleurs dont les roses, les tulipes méritaient leur attention et ont été classées fleurs de fleuriste). Mais ces fleuristes n’étaient pas de simples collectionneurs, ils tentaient aussi d’améliorer les plantes en leur collection.
Les auricules, une fleur de la cour
Le Jardin du Roy tres chrestien Henry IV Roy, 1608 de France, Pierre Vallet
Au 17ème siècle les auricules ont fait leur apparition à Paris où les fleurs des fleuristes étaient fortement appréciées. Jean Robin était le jardinier d’Henri III, d’Henri IV et de Louis XIII. En 1601 il publia un catalogue de sa collection où on trouve mention de plusieurs auricules. En 1608, beaucoup de fleurs rares et désirables furent illustrées dans Le Jardin du Roy tres chrestien Henry IV Roy de France par l’artiste Pierre Vallet où on voit deux auricules de teintes rouges, une de teinte blanche et une de teinte violette. A l’époque, posséder une collection de plantes rares donnait un certain statut au collectionneur, une obsession surtout masculine et hautement compétitive. Les fleuristes curieux montraient leur bon goût pour ces fleurs et organisaient des rencontres entre hommes du même esprit. Mais c’est Louis XIV qui a mené la floriculture à des niveaux époustouflants. Paris est devenue la capitale des fleurs et à Versailles des quantités de fleurs rares furent exposées de façon somptueuse. On pensait que les fleurs apporteraient une renaissance culturelle après les guerres en Europe. La Cour de France, à la pointe de la mode, influença non seulement les autres Cours d’Europe mais aussi les classes aisées.
Les théâtres
A cette époque, on commença à exposer les auricules comme les flamands dans des ‘théâtres’ peints en noir, parfois avec des rideaux et des miroirs sur les côtés. Difficile de dire où commença cette mode mais Charles Guénin dans son livre de 1732 parle de la ville de Tournai où l’abbé de Saint-Michel proposait des visites de ses quelques quinze théâtres d’auricules !
Théâtre d’auricules de Barnhaven
Les théâtres prendront des proportions démesurées comme celui, encore existant, de Calke Abbey en Angleterre.
Théâtre de fleurs à Calke Abbey, Angleterre
Les auricules liégeoises
Franz August Kanngiesser, Aurifkelflora,1799
Vers la fin du 18ème siècle, il régnait une ‘auriculomanie’ en Belgique et aux Pays-Bas dans les régions de la Belgique et Pays Bas qui allait atteindre des proportions presque aussi importantes que la tulipomanie. C’étaient avant tout les auricules doubles qui étaient recherchées. En 1799, Franz August Kanngiesser publiait dans la ville de Meissen une ‘Aurifkelflora’ comprenant les illustrations colorées de 144 cultivars. Les peintres, également s’étaient appropriés les auricules. Ainsi on trouve de nombreuses natures mortes de Jan Frans Van Dael, peintre anversois travaillant à Paris, qui représentaient des auricules. On les glorifiait dans des poèmes, elles apparurent dans des jardinières, sur les appuis des fenêtres, et les cultivars à longue tige étaient disposés en bouquets. En Allemagne et en Wallonie, des associations d’auricules commençaient à voir le jour. Une revue spécialisée signalait même des vols, car une auricule correspondant à tous les critères des juges était un objet de convoitise. A la fin du 18ème le commerce de la cité de Liège commercialisait plus de 1000 cultivars ! A partir de 1850, elles perdent de leur popularité alors qu’à la même époque, de l’autre côté de la Manche, on s’y intéresse de nouveau.
Les auricules en Angleterre
On explique la culture de l’auricule dans des zones bien définies de l’Angleterre par leur arrivée avec les réfugiés des persécutions religieuses dont les tapissiers flamands à partir de 1570 et les Huguenots entre 1620 et 1685. Les premières sociétés de fleuristes furent créées dès 1630. Elles organisèrent de nombreuses expositions de fleurs et contribuèrent, pour beaucoup à la popularisation de l’auricule aux 17ème et 18ème siècles. Elles furent associées aux travailleurs du Nord qui organisaient des rencontres dans des pubs, le prix le plus prisé étant une bouilloire en cuivre ! Dans le Sud, les classes aisées avaient de nombreuses collections et les pépinières spécialisées les vendaient à des prix très élevés. Un peu délaissées lors de la révolution industrielle et avec l’arrivée de plantes plus exotiques nécessitant des serres chauffées, elles regagnèrent en popularité vers 1870. Beaucoup de variétés disparurent entre les deux guerres, mais les sociétés d’horticulteurs spécialisées comme le National Auricula and Primula Society fondée en 1873 ainsi que certains collectionneurs passionnés les ont maintenues en culture et elles demeurent très populaires dans les jardins amateurs.
Les États-Unis ont aussi leur propre American Primrose and Auricula Society fondée par Florence Bellis en 1941 !
Les auricules aujourd’hui
Grâce à l’aide des sociétés de fleuristes toujours actives aujourd’hui en Angleterre et aux États-Unis, la réputation et la culture des auricules perdurent. Elles organisent encore aujourd’hui des concours réguliers avec des expositions épatantes. Comme vous pouvez le constater sur le site, les auricules sont classées en plusieurs catégories - le résultat d’une longue histoire de classement de ces fleurs par les fleuristes et étonnamment toujours utilisées dans les concours/expositions aujourd’hui. Vous trouverez les règles de classement des fleurs au concours sur les sites internet des sociétés d’Auricules et de Primevères. Ces règles strictes déterminent le classement des fleurs au concours par un système de points détaillés selon le nombre de fleurs, la taille, la forme des pétales, etc.
Depuis quelques années, on note un regain d’intérêt pour les auricules en Europe, les Allemands en raffolent particulièrement. Donc découvrez, redécouvrez ces plantes merveilleuses mais, attention, vous n’y résisterez pas !